Un gigantesque python au milieu de la ville
Proclamé en 2011 « Hero of Green Architecture » par le Financial Times, l’architecte Édouard François ne cesse de surprendre par ses déclinaisons et interprétations sans cesse renouvelées de l’urbanisme écologique.
L’agence d’architecture, d’urbanisme et de design d’Édouard François, dont le travail est centré plus particulièrement sur l’architecture durable, vient tout juste de fêter ses trente ans d’existence. Singuliers et remarquables, ses projets ne manquent pas de surprendre et sa signature est reconnaissable entre mille. Parmi ses projets les plus remarqués, on citera notamment « L’Immeuble qui Pousse » (Montpellier, 2000), la « Tower Flower » (Paris, 2004) et l’hôtel Barrière Le Fouquet’s (Paris, 2006). Il aime l’espace de création que sont pour lui les façades et ne cesse d’étonner par sa fraîcheur inventive et fertile.
Vous avez été proclamé « Hero of Green Architecture ». En quoi cela est-il révélateur de votre travail ?
Édouard François : Cela fait maintenant près de vingt-cinq ans que je me suis spécialisé dans les questions environnementales. D’aucuns me considéreront volontiers comme l’un des pionniers de l’architecture durable, et plus particulièrement des façades écologiques. Je suis membre honoraire international du Royal Insitute of British Architects de Londres et, depuis près de vingt ans, mes pièces font partie des collections permanentes du Centre Pompidou.
À mes débuts, mon travail était axé principalement sur la campagne et la forêt, ce qui m’a donné l’occasion de concevoir des façades végétalisées. Un peu plus tard, je me suis tourné vers l’espace urbain. Ma signature se nourrissait toujours du contexte, des conditions, des circonstances qui entouraient le projet. Prenons la « Tower Flower » par exemple. L’idée était de créer un bâtiment qui soit en lui-même une sorte de jardin. On retrouve constamment ce fil rouge dans mon travail.
Parlons maintenant du Python. Pourquoi justement l’idée d’un serpent ?
ÉF : Le Python est en fait une œuvre complètement atypique qui n’est pas représentative de ma ligne habituelle. Le bâtiment se trouve dans un quartier nouveau où tout est parfaitement plat. Le projet est sous la direction de Christian de Portzamparc, l’architecte en chef qui a conçu l’urbanisme de Grenoble Presqu’île. Il a été très difficile au début de s’imaginer le bâtiment à l’endroit où il allait être érigé. En tant que chef d’orchestre pour ainsi dire, Portzamparc avait bien sûr ses propres orientations. Son intention était de placer le bâtiment le long de l’avenue des Martyrs, à proximité du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et d’autres centres de recherche scientifique. Les bâtiments environnants étant tous mornes et discrets avec leurs tons de gris, il voulait une architecture emblématique qui soit littéralement mise en scène.
Et quelle était votre ambition dans ce projet ?
ÉF : L’idée était de créer quelque chose qui devienne une sorte de repère. Apportez l’innovation dans un nouveau quartier et les autres finiront bien par prendre le train en marche. Et pour finir, nous avons un bâtiment élégant, mais en même temps étonnant. Exactement ce dont ce nouveau quartier avait besoin.
En quoi le design en écailles de serpent a-t-il influé sur l’esthétique d’ensemble du bâtiment ?
ÉF : La forme et la facture du bâtiment sont en soi d’une grande simplicité. Cela nous a amené à choisir un matériau qui, à l’instar du camouflage militaire, permettait d’en abstraire considérablement la forme. Nous avons alors pensé au serpent, un animal dont la forme est difficile à percevoir en raison des motifs dessinés par les écailles. Des motifs dont la fonction est à la fois de perturber la perception visuelle et de brouiller les pistes. Nous nous sommes inspirés d’un sac Prada que nous avons scanné pour en agrandir le motif. Ensuite, transposer les écailles en losanges de façade a été un jeu d’enfant. Nous avons pu très rapidement faire un test en grandeur nature sur la façade du bâtiment. L’impression était stupéfiante. Je voyais les formes se brouiller et s’estomper, les arêtes et les angles disgracieux semblaient comme gommés, les trous noirs des fenêtres et les avancées des balcons disparaissent dans les motifs reptiliens.
On dirait un jeu de cache-cache architectural en quelque sorte…
ÉF : C’est exactement cela. Dans notre métier, la matérialité est essentielle. Aux alentours, beaucoup de bâtiments ont des couleurs très ordinaires et somme toute insipides. Je voulais à tout prix me démarquer de cette banalité et recourir à un matériau qui résiste à l’épreuve du temps. Les losanges de façade PREFA correspondaient exactement à ce que je recherchais. Nous avons porté notre choix sur les couleurs blanc et anthracite, en y ajoutant deux tons intermédiaires, gris et aluminium naturel.
Les losanges de façade répondaient à deux critères importants : nous voulions en effet un produit durable et de fabrication industrielle. La sismicité de la région exigeait une parfaite stabilité de la construction, une pose d’une grande précision et donc un haut niveau d’excellence dans la mise en œuvre. Il a fallu surmonter quelques petites difficultés lorsque nous avons dû adapter les losanges afin de répondre aux différences de hauteur de la façade. Mais en fin de compte, tout cela se résume à un kaléidoscope de petites solutions et il ne faut pas manquer de souligner la qualité du travail réalisé par le façadier.